Il y a quelques années, nous avons invité chez nous un ami avec qui j’ai été étudiante.
Cet ami, mari, père de 3 enfants, professeur de droit agrégé des Universités, chercheur reconnu en France et à l’étranger, voyageant, écrivant et publiant beaucoup, m’a demandé ce que j’avais fait depuis la dernière fois que nous nous étions vus, plusieurs années auparavant.
La réponse que j’ai entendue en moi et articulée fut “Rien.”
Il a été étonné. Il m’a demandé : “C’est-à-dire ? A quoi as-tu passé toutes ces années ?”
“J’ai vécu.”
J’ai longtemps eu honte de cette réponse. Honte de ne pas pouvoir moi aussi dégainer ma liste de réalisations personnelles ou professionnelles. Honte de m’être satisfaite de “juste” vivre.
J’y ai souvent pensé depuis. Notamment dans les moments où lister tout ce que “j’ai fait” m’apparaissait comme rassurant. Parce que j’ai fait tout ça, je dois bien valoir quelque chose.
Ce n’est que très récemment que j’ai compris que ma valeur intrinsèque n’était en rien liée à la façon dont j’occupe mon temps et aux regards extérieurs sur ces actes : Faire n’est pas valoir.
“Faire rien” est la chose la plus exactement juste que je puisse faire de ma vie.
Cela ne veut pas dire que je ne fais, concrètement, rien.
Pendant l’intervalle sur lequel cet ami m’interrogeait, j’ai donné naissance à et nourri de mille façons 3 enfants, déménagé, créé un blog qui m’apporte beaucoup de joies par ses partages, aménagé mon jardin, lu, enseigné chaque année à des centaines d’étudiants, été membre de jurys ou de comités, été une fille, une sœur, une nièce, une amie, une citoyenne. Entre autres.
Quand je fais “rien”, je fais plein de choses. Mais pas parce que je dois les faire.
Ces jours-là, je n’agis pas parce que “il le faut”, “tout le monde le fait”, “ça va plaire”, “les gens bien font ainsi”, “elle me le reprochera si je ne le fais pas”.
Je vis comme l’enfant vit sa journée à l’école puis répond à celui qui lui demande ce qu’il y a fait : “Rien”.
Je vis comme on vit ces moments pour lesquels, si une personne à nos côtés nous demande “A quoi tu penses?”, on répond “A rien”.
Je savoure ces journées délicieuses à la fin desquelles je me dit, au coucher, “Tiens, je n’ai rien fait aujourd’hui.” Alors même que j’ai fait “plein” (ou pas, d’ailleurs) mais pas ce que j’aurais du faire. J’ai choisi mes actions.
Quand je fais “rien”, je suis présente à moi-même. J’entends mes envies, je réponds à mes besoins du moment et je suis en lien avec ce qui m’entoure. Je ne cherche pas à rayer tous les items de ma “to do list” et à être “quelqu’un de bien”.
Alors oui, c’est vrai : j’oublie complètement telle obligation (mais jamais celles qui comptent pour moi), je me mets en retard sur un dossier que je m’étais promis (mais pourquoi ?) de finir ce soir-là, je ne fais pas le ménage (encore que, ce peut être un “rien” assez génial certains jours), j’oublie qu’il me faut telle chemisier repassé le lendemain (et alors ?).
Parfois, ça m’angoisse rétrospectivement d’avoir passé une journée à faire rien et je m’en veux. “Ca ne se fait pas”, n’est-ce pas ?
Et je me rappelle alors que je suis plus vivante et plus sereine et présente qu’en toute autre circonstance.